Aujourd'hui je me décide enfin à commencer une série de posts sur ce qu'il y a de plus frappant ici: la pauvreté. Je n'avais pas mis tant de temps à vous parler des bidonvilles de Manille ou des camps de réfugiés de Port-au-prince. Ici, la pauvreté est partout mais en même temps il est difficile de la décrire tant elle se manifeste de façon différente. Ce sentiment n'engage que moi mais en Inde (du moins à Delhi), la pauvreté est encore plus dure (dure dans le sens marquante, choquante) qu'ailleurs. La première chose que j'ai remarqué en atterrissant ici c'est qu'il n'y a pas vraiment de quartier de riches comme à Manille et PAP, ici avoir un bidonville juste en bas de la résidence de luxe c'est plutot normal, puisque c'est là qu'on y emploie les femmes de ménage et autres petits boulots payés trois fois rien. Je trouve pas non plus ça normal que les riches se barricadent mais ici c'est comme si c'était largement accepté (voire même, normal) qu'il y ait des gens qui soient très pauvres devant votre palier. Les castes jouent un grand rôle dans cette stratification de la société , sans pouvoir vous éclairer vraiment sur ce sujet (Eve, Hélène...help!), il semble par exemple plutôt normal d'embaucher des intouchables pour tenir un panneau d'indication à l'entrée d'un mall, parce qu'ils coutent presque le même prix que faire un panneau en dur et que ca fait de l'embauche. Il y a les pauvres et les riches de naissance, de droit pourrait-on dire. Des mesures sont progressivement prises par le gouvernement pour essayer d'enrayer ce phénomène de pauvreté des classes les plus basses, je ne connais pas assez l'Inde pour dire si ça porte ses fruits mais mon sentiment est que cette affaire de classe détermine encore aujourd'hui le niveau de vie d'un individu.
Mais avant de faire la constatation de cette pauvreté, encore faut-il savoir qu'est-ce qu'être pauvre.
L'économie se pose la question depuis des lustres, nombre d'intellectuels parmi les meilleurs au monde se sont penchés sur la question. En Inde, un pauvre est quelq'un dont les revenus se situent en dessous du seuil de pauvreté, calculé à partir du prix de la nourriture pour atteindre un certain nombre de calories. En Uttar Pradesh (là où se trouve Palanpur), le seuil de pauvreté est à 650 Rs par mois par personne. Pour vous donner un ordre de grandeur, c'est ce que je dépense pour 6 repas (et je ne mange pas dans des restos de luxe!). Autant vous dire que c'est plus un seuil de survie que de pauvreté (ca ne comprend ni l'éducation, ni la santé, ni rien du tout en fait). Certes c'est utile pour les politiques publiques de définir ce qu'est un pauvre mais honnêtement cet exercice relève plus de la branlette intellectuelle que de quoi que ce soit de réaliste.
Un pauvre, pour moi, c'est d'abord quelqu'un qui n'a pas de perspective optimiste à moyen et long terme. C'est quelqu'un qui est dans la merde et qui va y rester. Quelqu'un qui n'a pas le moyens, dans l'état actuel des choses, d'améliorer sa situation. C'est l'enfant qui vient vous vendre des roses au lieu d'aller à l'école. C'est la mère de famille avec deux enfants dans les bras qui vous attend la main tendue au feu rouge. C'est les centaines de personnes que vous apercevez, à l'aube, lorsque vous vous levez tot pour partir en week-end, qui sont recroquevillées dans leur draps sur le trottoir pour chercher un peu de sommeil. C'est le père de famille, à Palanpur, qui vend à moitié prix toutes les vaches qu'il vient d'acheter avec ses économies pour payer en urgence les frais médicaux de sa fille mourante. C'est les milliers d'individus qui vivent sur les poubelles. C'est la grande majorité de l'Inde. On croise sans arrêt dans la rue des gens extrêmement maigres et haillons, dont la peau flétrie porte le fardeau de la pauvreté. Et alors on est bien contents d'être du bon côté de la vie. J'aurais aimé mettre une photo pour ce post, mais difficile de mettre une image sur "la pauvreté" (sans en plus faire de voyeurisme). A défaut de l'avoir (elle a été supprimée par inadvertance de mon appareil photo) je vais vous décrire celle que je voulais mettre. C'était chez nous, à Lajpat Nagar, un jour de fête (on a pas compris en quelle occasion mais bon) et de liesse populaire. Et la, de derrière les poubelles, surgit un petit garçon de 6-7 ans avec des tonnes de ballons de toutes les couleurs gonflés à l'hélium dans les mains. Ce n'était pas un enfant particulièrement gâté, c'était un enfant qui allait tenter de convaincre les adultes d'acheter ses ballons pour faire plaisir à leurs enfants. C'est un petit qui n'a pas d'enfance et qui risque bien de ne pas avoir d'avenir si rien n'est fait. La photo n'est plus dans mon appareil mais elle restera bien longtemps dans ma tête.
ps: je vous conseille l'article "main d'oeuvre" très bien écrit (la qualité de son blog n'a rien à voir avec le mien :-P) : http://lintegraledunederive.blogspot.com/